A écouter en se taillant les veines :
Lou Reed – « The Bed »
Ce mec est quand même très fort. Rappelons que Lou Reed est l'un des trois ou quatre authentiques génies, au sens Michel-Ange du terme, de l'histoire du rock. Depuis les débuts de son groupe (le Velvet Underground, pour les incultes, les ignares et plus généralement tous ceux qui n’ont pas eu des parents profs ou cadres supérieurs – j’en vois deux au fond), il s'est fait une spécialité d'écrire des mélodies inouïes, gorgées d’innocence et de pureté pop, sur lesquelles il pose des textes d’une perversité et d’un cynisme incroyables. D’ailleurs, ses mélodies sont tellement cristallines que beaucoup d’auditeurs francophones ratent le côté suprêmement malsain du truc: certaines personnes, par exemple, persistent à croire que « Perfect Day » est une chanson d’amour.
« Oh it’s such a perfect day / I’m glad I spent it with you » : il s’adresse à sa dose d’héroïne.
Pour en revenir à « The Bed », il s’agit sans doute de la chanson la plus déprimante de l’album le plus déprimant jamais enregistré, à savoir Berlin (1972). Dans ce morceau, Lou Reed interprète un type qui regarde sa femme, une junkie à qui on a retiré ses enfants, se taillader les veines dans le lit conjugal. La conclusion: « But funny thing, I’m not at all sad / That it stopped this way ». Quand on entend ce genre de trucs chantés avec des “ohoh ohoh ohoh” insouciants, difficile de ne pas sentir au minimum un petit frisson dans le dos. En outre, la douceur du tempo, l’aménité de la guitare acoustique et l’ingénuité des chœurs seront les compagnons idéaux de votre lente perte de conscience, à mesure que l’eau de la baignoire se mêlera à votre propre sang.
A écouter avant de se jeter dans la mer, du haut d’une falaise :
Tom Waits – « Sea Of Love »
Tom Waits : voilà un type qu’on ne peut pas accuser de faire dans le pleurnichard. Avec son faciès d’orang-outang et sa voix de loup écartelé, il en serait bien incapable. Il y a du tragique dans ce bonhomme : un peu comme Shane MacGowan ou Jacques Brel, il est tellement laid que quand il chante l’amour impossible, on a envie de le croire (ce qui n’est pas le cas quand David Hallyday vient nous faire part de ses bobos amoureux). Avec ce « Sea Of Love », un blues magistralement aquatique, l’homme-singe californien nous met littéralement à genoux : si les audiophiles, ces âmes de boue, déploreront la justesse toute relative de son chant, les mélomanes, eux, seront touchés en plein cœur par l’émotion primitive qui se dégage de ses grognements d’animal blessé. « La musique parfois me prend comme une mer ! », s'exclamait le poète. Quand Tom Waits glapit, que dis-je, lorsqu’il barète « Come with me/ To the sea » avec ce déchirement bouleversant dans le gosier, et ce groove unique, merde, on a envie de sauter avec lui !
A écouter en se passant la corde autour du cou :
Johnny Cash – « Hurt »
On a déjà parlé sur ce blog de la série des albums American de Johnny Cash : ces trucs sont tellement traumatisants qu’on ne pouvait pas passer à côté dans cette liste. L’art du défunt chanteur country culmine dans cette reprise d’un morceau médiocre de Nine Inch Nails, qu’il transcende à tout point de vue. Après avoir entendu cette version de sa propre chanson, Trent Reznor avait même déclaré que désormais, « Hurt » appartenait à Johnny Cash… L’impression constante, à l’écoute de cette reprise, d’entendre un vieillard à l’agonie énoncer ses dernières paroles produit un effet dévastateur sur le mélomane aux penchants un tant soit peu suicidaires. La durée de la chanson (3 minutes 40) est amplement suffisante pour vous laisser le temps d’attacher solidement la corde au plafond. Attention toutefois ! Veillez à ne pas renverser votre tabouret avant le dernier refrain, afin de profiter pleinement des dernières secondes du morceau, les plus émouvantes.
A écouter le revolver sur la tempe :
Leonard Cohen – « Seems So Long Ago, Nancy »
Je ne vais pas vous l’apprendre, Leonard Cohen n’est pas vraiment un artiste porté sur la gaudriole. Mais sur celle-là, il pousse quand même le bouchon un peu loin. L’écoute de son morceau « Seems So Long Ago, Nancy » devrait vous faire passer définitivement l’envie de l’inviter à votre goûter d’anniversaire. On en connaît d’ailleurs certains, pourtant fins connaisseurs en neurasthénie, qui considèrent ce titre sépulcral comme la chanson la plus désespérée jamais écrite. Au-delà de la mélodie, qui est si déprimante qu’elle devrait suffire à vous faire appuyer sur la détente, de quoi parle cette chanson ? D’une certaine Nancy, qui « couchait avec tout le monde », mais qui n’a jamais été aimée de personne. Du coup, elle se tire une balle. Sacré Leonard ! Bon, vivement que j’en aie fini avec cette liste, je commence à avoir le cafard, moi.
A écouter en avalant une surdose de barbituriques
Nico – « Evening Of Light »
Une surdose de barbituriques ? Je vois que vous êtes connaisseur ! Bon nombre de stars ont fini comme ça : Elvis, Marilyn Monroe, Jimi Hendrix, Chantal Sébire… Ce morceau signé Nico sera parfait pour accompagner votre suffocation. Nico, outre le fait qu’elle a été l’égérie d’Andy Warhol au sein du Velvet Underground, était une chanteuse, actrice et mannequin allemande surtout connue pour s’être tapé Jim Morrison, Iggy Pop, Brian Jones, Tim Buckley, Bob Dylan et même Alain Delon, avec qui elle a eu un fils.
« The Evening Light » est un extrait de l’album The Marble Index (1968), qui a pour caractéristique d’être empli de la musique la plus abyssale et la plus désolée qui ait jamais été gravée sur un disque de rock.
Cette chanson est une vraie saloperie. On l’entend à peine démarrer, avec ses notes de clavecin ultra-répétitives, puis peu à peu la voix de fantôme moyenâgeux de Nico commence à réciter sa mélopée lancinante : on n’a jamais fait timbre plus blanc, plus arctique, plus atemporel. Le terme de « musique d’outre-tombe » serait assez juste pour décrire la suite, mais ne rendrait qu’imparfaitement compte des giclées poisseuses d’angoisse qui assaillent bientôt le cerveau de l’auditeur imprudent : tandis que la mélodie est peu à peu disloquée sous les coups de gourdin d’une contrebasse jouée à l’archet, John Cale, à la production, nous refait le coup du violon électrisé, en presque aussi strident que sur « Venus In Furs », achevant ainsi de nous déchirer les tympans. Hypnotique à souhait et idéal pour mourir dans des souffrances atroces.
Sinon essayez le Prozac.
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Voici la version originale de la chanson de Tom Waits par Phil Phillips, obscure chanteur de R&B américain n'ayant eu qu'un seul tube (#1 du Billboard R&B en 1959 tout de même).
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=ZDVp3iT0M2Y
et la version de Cat Power, moins animal, moins rugueux, mais tout aussi touchant par son hésitation enfantine, et son petit filet de voix félé.
www.youtube.com/watch?v=CbMeAOTPJzM