S'il est un lieu commun de dire que trop de groupes garage ont été injustement oubliés, je me vautre volontiers dedans à propos de We The People. Le monde aurait du se prosterner devant eux – ce que je vous invite à faire dès maintenant en cliquant ici, ou encore là – au lieu de les laisser se reconvertir dans les assurances ou l'exportation de jus de fruits. Oui, de jus de fruits, parce que ces jeunes gens venaient de Floride, comme quoi. Cet État aurait pu rester espagnol qu'on ne s'en serait même pas rendu compte. Bon, on a lancé depuis cette péninsule quelques fusées et manqué de recevoir quelques missiles – guerre froide oblige – mais encore ? On y trouve les splendides marais des Everglades ? Cela signifie juste que l'endroit ressemble au Congo Belge s'y Tintin ne s'y était pas rendu, c'est à dire infesté de crocodiliens quelque peu chatouilleux. Sans compter les moustiques. J'en entends déjà m'objecter que cet État n'est toutefois pas un repaire de ploucs puisque s'y trouve Disney World. Si on ne peut que s'incliner devant un argument aussi éloquent, force est de constater que cette contrée n'est pas la plus folichonne qui soit, avec son architecture aussi pauvre qu'est élevé son taux de criminalité. Et la musique ?
Un groupe se détache et relève considérablement le niveau. Avec un nom fleurant bon la démagogie jeffersonienne1, We The People fut d'abord un redoutable groupe garage, avant d'aller voir au-delà grâce aux idées de Wayne Proctor, sorte de Brian Jones des marais. Mais arrêtons-nous d'abord sur ces tubes 60's punk parfois repris, jamais égalés. Comme ce « When I arrive » sonnant comme du Who claustrophobe sur lequel John Echols aurait cachetonné à la place de Jimmy Page. Ou ce "Mirror of your mind" au chant Jaggerien et aux cymbales en roue libre. L'influence britannique est assez manifeste, avec un « Follow me back to Louisville » entre Kinks et Beatles ou la reprise du « She does everything for me » des Zombies.
Le surf, pourtant devenu ringard aux yeux des jeunes groupes américains en raison de la British Invasion, revient comme du refoulé sur l'imparable riff à la guitare twang de « Half of Wednesday ». Quant au riff de « My brother the man », sa postérité est sans aucune mesure avec le succès temporellement et spatialement limité du groupe. La reprise des Fuzztones est sans doute plus connue aujourd'hui. Plus récemment, The Horrors, pour « Count in fives », a accéléré le riff et gardé les « hey ! » de circonstance sans citer ses sources. Tout fout le camp.
We The People a parfaitement digéré ses influences, surtout britanniques2, pour livrer ces morceaux garage portés par un Tommy Talton particulièrement Van Morrissonien sur « You burn me up and down ». Ce qui fait sortir les WTP du lot réside cependant dans le génie de Wayne Proctor, l'autre compositeur du groupe. On pourra évoquer les Beach Boys, les Kinks ou les Beatles pour tenter de situer ses compositions dans l'histoire du rock, sans jamais voir où le bonhomme voulait en venir. Proctor a tout simplement posé les bases d'une pop nouvelle dont personne ne s'est fait l'émule.
Et c'est bien dommage, puisque We The People laisse ni plus ni moins qu'un manuel d'écriture à l'usage des compositeurs sérieux. Ils ont, par exemple, compris mieux que tout le monde comment faire des ponts. Écoutez celui de « In the past » ou ceux de « Proceed with caution » et de « You like me, you love me », lequel donne la chair de poule... C'est ainsi qu'un pont se doit d'être écrit (deux ou trois accords, dont un mineur, pas plus), et cette vérité doit absolument être érigée en dogme. Et les harmonies vocales dignes des Beach Boys sur le pont de « The day she dies » ne font que corroborer mon propos.
Ce sens de la composition pure est attesté par des morceaux acoustiques jamais chiants, comme « Nothing like a vision » ou « You like me, you love me » et par l'exploration d'autres genres. Grands admirateurs de James Brown comptant dans leurs rang un David Duff à la voix chaude, ils se sont brièvement essayés à la soul cuivrée dans « Ain't gonna find nobody (better than you) » et « There's gonna be a storm » ou même sans cuivre dans « Love is a beautiful thing ». En parlant de soul, Patti Drew a même repris « Boy, she just don't feel it » sous le titre « Baby, I just don't feel it ».
Sommet du groupe, « In the past » est ni plus ni moins qu'un bijou de garage-pop-baroque porté par une section rythmique galopante. Il fallait un certain génie pour ajouter un clavecin, un orgue et un « octachord » (sorte de mandoline faîte maison avec des cordes de banjo) sans que cela fasse surchargé. Tout cela devait en vouloir la peine, « In the past » étant la chanson parfaite permettant à Wayne Proctor de s'asseoir à la droite de Ray Davies. Il n'en fallait pas moins pour que l'instrumentation, prise telle quelle, aille servir d'écrin à la belge voix de Delphine interprétant les ô combien subtiles paroles de Jean Lapierre. Ce qui donne... « La fermeture éclair ». Le Chocolate Watchband (enfin, les Yo-Yoz, officieusement) a bossé un peu plus sérieusement sur ce coup-là, jouant à fond la carte raga-rock-en-espadrilles-à-Katmandou-sur-la-Baie.
Face B de « In the past », « St. John's Shop » était un peu le« Eleanor Rigby » de We The People. Le ton des Beatles d'Orlando, ici, est plus léger sans vraiment être psychédélique. Les paroles se font tout de même assez originales par moments, comme cette histoire d'amour avec une nonne « Love wears black (none) ». Quoiqu'on se demande parfois s'ils en avaient quelque chose à carrer, du sens des paroles, à en croire le gobbledygook assumé de « My brother the man ».
Les gars du groupe se rangeant peu à peu, ou fuyant la conscription, We The People s'est sans doute arrêté à temps. Proctor quitte le navire dès 1967, suivi un an après par Talton, qui allait faire du rock sudiste avec Cowboy et enregistrer avec les Allman Brothers. Mais ça, on s'en préoccupe à peu près autant que de l'an 40. On retiendra des WTP qu'en plus d'être le groupe garage le plus bath, ils étaient capables d'écrire de la pop comme des grands, ce qui est assez rare. Sans doute étaient-ils trop bons pour leur époque. Alors pour la nôtre, pensez-vous...
1Jusqu'à intituler une chanson « Declaration of independence », mais en ayant le bon goût de renier le coup a posteriori.
2Ou même légèrement bossa sur « (You are) The color of love »
J'aimais bien le chocolate watch band, j'adore we the people.
RépondreSupprimerMerci de m'avoir remis dans le droit chemin!
Affection.
Commun Art
Pourquoi s'arrêter à la bonne période et ne pas enchainer sur l'après Proctor-Talton plus que déplorable?...
RépondreSupprimerSuperbe article, à la hauteur de ces génies méconnus du grand public. Bravo !
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